Le chapelet est un ensemble de grains, de matériaux possibles divers, enfilés que l’on fait défiler entre les doigts en évoquant le Tout-puissant.
Son étymologie renvoie à la version chrétienne, le rosaire : le petit chapeau dérivé de la couronne que l’iconographie attribue à Mame Mariama. Il existe des versions brahmaniques,bouddhiques …
Il y a plusieurs variantes de chapelet, misbaha, dans les confréries actives au Sénégal. Mbaye Babacar Diouf rend dans son œuvre celui courant au sein de la tijânya avec sa structure de cent perles composée d’une suite doublée de 12, 18 et 20 avec 5 séparations (seede). Initié aux pratiques d’évocation de la tijânya, il a commencé la réalisation de son œuvre depuis plus de deux ans. Il mit ainsi à contribution toute une équipe du moulage au polissage des perles en passant par le coulage.
Ce travail a nécessité un investissement financier conséquent qui est, malgré tout, infime par rapport à celui énergétique, spirituel. Façonner la matière a été pour lui comme une manière de dépasser le corps. Il est dans la tradition soufie de prendre soin de ce corps, qui est aussi un don de Dieu, tout en l’éprouvant. Le principe de l’élévation spirituelle dans cette perspective n’est pas mortifère, au final.
Le corps et les choses qui s’y attachent sont une porte de passage, une instance de transit. C’est par le corps qu’on entretient cette anamnèse platonicienne qui revivifie nos souvenirs célestes, le souffle divin. Il s’agit au final d’anéantir nos sens extérieurs au profit de ceux intérieurs : annihiler son moi dans le Soi. C’est par ce moyen qu’on peut obtenir l’illumination, le dévoilement, la vision mystique et l’inspiration divine, ainsi que la connaissance mystique, la juste connaissance de la Réalité suprême.
On en arrive, en dernière station, à l’état de fanâ, la mise en communion avec l’éternel divin. Et par cette voie, l’Unicité divine dans la Tawhîd subsume sous unique les différentes voies, celle de Rumi et de Ibn Arabi. Celle de toutes les pratiques soufies que Seydina Cheikh Ahmed Tijâne (Rta), l’Intercesseur caché, incarne de manière remarquable. Il a inscrit sur la voie la discipline quotidienne du zikr pour l’absolution des péchés, l’affirmation de l’unicité de Dieu et la prière sur le prophète Mohammed (psl).
L’évocation et l’invocation de Dieu à travers ses 99 noms révélés, son invocation ultime par le biais de son nom, caché et connu semble-t-il par des êtres dans la grâce, passent ici par le support du chapelet. Cet instrument mystique n’est pas seulement l’abaque pour distiller des noms à charge énergétique. Poli par l’usage, il en finit par devenir un objet chargé.
Mbaye Babacar Diouf est fasciné par les chapelets. Il les collectionne. S’il vous en offre un, prenez-le pour le nec plus ultra de ses cadeaux. Les perles des lumières sont donc une invite au dépassement de nos appétits dans ce monde clivant et gouverné par les émotions. Sa perspective excède les prismes d’une belle voie musulmane. Il interpelle l’humain dans ses possibilités les plus nobles. Celles qui mettent en commun nos humanités ayant en partage un espace commun qu’il nous faut chérir afin d’en découvrir toutes les virtualités.
Mais la vérité est ailleurs. Dans l’expérience unique de la foi cent fois renouvelée. Renouvelée jusqu’au tournis. Jusqu’à l’élévation au Secret après un passage par le corps, le cœur, l’intellect et l’âme ! Dans le Secret, les êtres de même niveau se retrouvent toujours et tendent la main à ceux en
chemin qui font l’effort de rester sur la voie.
La litanie du zikr, le chapelet égrené régulièrement… l’exaltante suite. Faut-il bien le réaliser, l’affirmer ? : plastiques et spirituelles, les perles de lumière sont exceptionnelles !
Massamba MBAYE, Commissaire d’exposition